onze ans plus tôt

« Rends-la moi » - il pense connard, il pense enfoiré, il pense sale con, Milo. Il déglutit même si dans son regard la haine prend ses quartiers, son père ne cille pas. Bien au contraire, semble même se réjouir de l'état de son fils ainé. Il semble au bord de l'extase, avec ce sourire mutin qui lui dévore les traits. Ce sourire qui appuie sur la plaie béante. « Rends-la moi » - il répète mais dans son regard passe la promesse, celle qui dit ceci : où je te l'arrache de force. Il le ferait, pourtant, le quadragénaire marque un arrêt, lâche un rire qui tient plus du ricanement. Le toise de haut en bas, l'air de dire – c'est tout ? Tout ce dont tu es capable ? Il serre les poings, Milo, se mord l'intérieur de la joue jusqu'au sang. Il a quatorze ans et des rêves plein la tête. Des envies mécréantes et viles, de liberté, de puissance, d'évasion. Il le sait, Milo, qu'il va partir, il se dit bientôt, bientôt. Comme une vieille leitmotiv. Bientôt. La chevalière fend l'air, il lève la main pour la rattraper. Il n'hésite pas une seule seconde à l'enfiler.Pas de remerciement. Il est en plein deuil, Milo. Son grand-père a passé l'arme à gauche et lui, lui il s'enferme dans son bureau, il passe son temps à relire ses journaux. Il admire en silence les souvenirs des voyages qu'il a réalisé. Il se dit qu'il a eu une vie bien remplie. Qu'il l'a vécu si bien et usé jusqu'à la corde. Il se dit surtout qu'il veut être exactement comme lui. Il veut atteindre ses quatre vingt ans et porter un regard sur son passé, ne ressentir aucune amertume, aucun regret et transmettre cette passion commune à ses enfants, petits enfants. Sur son père, il porte une attention particulière. Il ne comprend pas comment est-ce qu'il a bien pu devenir cet homme au regard froid. « Concentre toi sur tes examens de fin d'année, Milo » - Harrold n'ajoute rien mais, il devine dans la phrase qu'il laisse en suspend qu'il ferait mieux de délaisser toutes ces conneries, ne plus vivre dans le passé d'un autre et vivre son présent, à lui. Milo, il n'aime pas assez le réel pour vouloir s'y ancrer.  Ses mains le démangent alors, inconsciemment, il attrape la boussole que son grand-père lui a légué. Un sourire se peint sur ses lèvres, son regard se perd dans le vide. Harrold s'éclipse. Il reconnaît son père en son fils et, il les envie. Il les envie d'avoir été tous deux si proches. Lui-même n'ayant jamais réussi.

(...)

une semaine plus tôt

« Qu'est-ce que... ? » - bordel de merde, il songe, immobile sous le regard stupéfié de la femme qui le dévisage. Il prend une profonde inspiration, les mâchoires crispées, se passe une main sur le visage. Quelles étaient les chances pour qu'il y ait, une dernière  péquenaude, dans le musée au moment où il passait à l'action ? « Fermez-la » - il aboie, pointant sur elle le couteau qui l'a aidé à détacher le canevas. Il pense qu'il ferait mieux d'investir dans un flingue, voler n'est pas sans risque. La panique l'étreint, c'est bien une première. « Sérieusement ? Vous êtes en train d'cambrioler ce musée ? ». Sa concentration vrille, toutefois, il ne relâche pas la pression. « Ça n'est pas c'que vous croyez » - bien sûr que c'est ce qu'elle croit. Bien sûr qu'il est en train de subtiliser le canevas qu'il a dans les mains. Il est pris en flagrant délit. « Si, si j'crois que c'est bien ce que je crois » - il hausse les épaules, Milo. A quoi bon poursuivre sur un mensonge aussi gros ? « Vous êtes bien consciente que plus vous parlerez plus vous me donnerez une raison d'faire en sorte que vous ne racontiez à personne ce que vous venez de voir ? ». En voilà une qui a perdu sa langue. «  N'essayez même pas de hurler ou de fuir. Ne m'obligez pas à vous planter ce couteau dans la gorge » - son ton est ferme et ne trahit aucune anxiété, aucune hésitation. Il n'a jamais tué personne et ne compte pas réellement passer à l'action. En revanche, il n'hésiterait pas à l'assommer et c'est d'ailleurs ce qu'il finit par faire, après trois minutes et le déclenchement de l'alarme. Il pense : putain, il ne me manquait qu'un poids de plus. Il pense : putain, elle pèse une tonne. Il pense surtout : putain qu'est-ce que je viens de faire. Le canevas en main, il jette un regard à sa montre. Il a deux minutes devant lui avant que les premiers flics ne rappliquent. Tant pis. Il l'embarque.